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ÉDITION - PERFORMANCE

Putain de nuit

Performance illustration-écriture en direct

Live illustration-writing performance

photo-montage & digital painting

writters: Pascale Fonteneau, Barbara Abel, Joelle Baumerder,

Carmelo Virone, Sylvie Granotier, Marc Villard & Patrick Pécherot

projection screen 4 x 2,2 m — 2006

 

 

Performance d'illustration et d'écriture diffusée en direct et réalisée à la Maison du Livre en février 2006 pendant le 'Festival Polar de Bruxelles'

Illustration and writing performance broadcast live and performed at the Maison du Livre in February 2006 during the 'Brussels Festival Polar'

Norton: Stéphane Thibaut

© 2006 Lucas Racasse / Les auteurs - copy interdite

L'HISTOIRE (20 min par auteur) >chap 1 — Pascale Fonteneau • Norton marchait de long en large le long du canal. L’obscurité l’empêchait de voir l’eau charrier les cadavres de rats, mais il savait qu’ils étaient là. Sur l’autre rive, le mur du palais royal s’étirait sans fin. Ce soir, Norton avait l’humeur âpre d’une vieille série noire. La journée avait été pénible, la nuit s’annonçait pire puisque Suzy n’était pas au rendez-vous. Pour la remplacer, elle n’avait pas envoyé de copine, elle n’avait pas non plus laissé sa voiture dont il avait les clés. Norton n’eut aucun mal à reconnaître qu’il était dans la merde. Agacé, il reprit le sac bourré de pognon et le plaça sur son épaule gauche de telle sorte qu’il masque sa manche inondée de sang. Objectivement, il ne manquait que la pluie pour sombrer dans le cliché. >chap 2 — Barbara Abel • En s'éloignant du point de rendez-vous, Norton ne put s'empêcher de jurer à mi-voix. Le sac pesait sur son épaule endolorie, ça puait l'égout et la vermine, aucun plan de secours n'avait été prévu... Au loin, les phares d'une voiture braquèrent soudain leurs faisceaux lumineux vers lui. Instinctivement, il se jeta sur le côté. Le coeur battant, il resta un moment immobile, dissimulé par l'obscurité de la nuit, à un mètre à peine du faisceau. Il attendit quelques instants, hésita, puis, au moment où il allait s'approcher du véhicule, perçut un coup de feu étouffé. Presque aussitôt, la portière côté passager s'ouvrit avec fracas, une silhouette s'en expulsa et prit la fuite dans le lointain. Norton se figea sur place. Lorsque le silence revint, il s'approcha lentement de la voiture, en fit le tour sans rien percevoir à l'intérieur, tant à cause de la nuit que des vitres teintes. Alors il ouvrit la portière du conducteur et poussa un cri d'horreur.    >chap 3 — Joelle Baumerder • Cette odeur. Cette senteur abominable, honnie entre toutes. Il se plaqua la main sur la bouche, en proie à une nausée incoercible, et recula d'un pas. Fallait-il que quelqu'un ait la haine, pour avoir planqué là, à lui destiné, ce bouquet de roses sombres. Il se plia en deux, et laissa la bile s'écouler le long de son • menton avant  de se redresser et de se pencher vers l'habitacle. Des jambes gaînées de noir, infiniment longues, infiniment sexy. Son regard se figea. Refusa de suivre la ligne des cuisses, de remonter vers la jupe retroussée. Personne au monde n'avait des jambes aussi longues que celles de Suzy. Pas bouger, les yeux.  Pas remonter, le regard. Pas savoir.   >chap 4 — Carmelo Virone • Pas Suzy. Un sosie. Aussi sexy que Suzy. Pour ça, y avait pas de doute : les jambes, pareilles, et les seins, un vrai rêve de coussins, jumeaux de ceux de Suzy, mais la gueule n'avait rien à voir. Pas seulement à cause du trou sanglant qu'elle avait dans l'oeil, et qui se prolongeait de l'autre côté du crâne, mais à cause de la peau. Peau de balle. Caoutchouc et silicone. Un clone, un mannequin. Un simulacre. Et dans la bouche de Norton un  goût âcre. Ce salopard de Teddy Bear avait une fois de plus réussi à le blouser. Il avait compris le message. Pas besoin de passer les billets aux rayons ultraviolets  pour comprendre que ce qui le faisait suer depuis deux heures, c'était du toc, de la monnaie de singe, et que une fois de plus, lui, Norton, était le dindon de la farce. >chap 5 — Sylvie Granotier • Cette fois de plus serait la dernière. Un dindon pouvait être la farce. En un éclair, il comprit la combine. Et la trahison. Mais quand tout est faux, autant dire que tout est vrai. La réalité n'avait qu'à imiter la fiction. D'abord, tuer Suzy, puis blouser Teddy Bear. Dans son antre même. La douleur le fit siffler doucement entre ses lèvres gercées. Son sang avait la beauté de la réalité. Se raccrocher à ça. Il lui suffit d'un coup d'oeil pour vérifier que le froid exquis avait vidé la rue. Il tira sur les chevilles fines qui pendaient vers le caniveau et réussit à faire glisser le corps de caoutchouc étonnamment lourd hors de la voiture, jeta le sac plein de billets sur le siège avant et s'allongea sur une Suzy autrement consentante que la vraie. Il frotta sa poitrine contre les seins durs, monta, descendit dans une parodie de désir paroxystique jusqu'à ce que la fourrure absorbe chaque goutte vermeille, puis goûta le plaisir subtil d'abandonner à son sort tragique la créature qui s'était jouée de lui ces derniers mois. Il démarra, direction le club. C'est alors que son portable sonna. >chap 6 — Marc Villard • A Tijuana, sur l'une des collines ravagées par les pluies, Suzy reprit contact avec le réel. Elle se pencha sur la table de nuit et arma son Smith et Wesson 357 parabellum. Elle pensa: je suis dans la vie, Norton fils de pute, Teddy Bear my love. Puis elle avala un demi verre de Tequila qui trainait près du lit. Elle contempla sa silhouette dans la glace murale: 90-60-90, ceux qui mélangent les chiffres, circulez, y'a rien à voir. Sous la douche de la salle de bain, le sac Vuitton renfermant les deux millions de faux dollars n'avait pas frémi durant la nuit. Elle passa un coup de fil à Diego, le garçon d'étage. - Parle-moi de Norton. - Ce cabron a découvert le mannequin. - Et alors ? Il connait quelqu'un sur le Rio Grande ? - Non, madame. Ah oui, le passeur réclame 1000 dollars! - T'es chiant, Diego, c'est pas ton fric ! Donne-lui ce qu'il demande. On sortira de nuit par la plage et tu préviens Teddy qu'il vienne avec le 4x4 immatriculé dans le Montana. - Entendu. Le loufiat tourna les talons pendant que la brune aux yeux violets fixait sur son mollet un poignard de combat. Elle alluma la TV et découvrit Diego Maradona qui vantait sur Canal 2 une crème amincissante. >chap 7 — Patrick Pécherot • Gorgé par les pluies, le Rio Grande  ronflait comme le lecteur d'un mauvais polar quand Suzy trouva le gué. Diego n'avait pas eu cette chance. Son corps, roulé par le fleuve en furie, filait vers le poste frontière.  - Chien crevé au fil du courant, maîtresse au tournant...  La voix de Norton avait dominé le tumulte. Suzie fit volte face, son maquillage lavé de flotte coulait en larmes sanglantes  : - Ce vieux salaud nous a eus ! Les biftons sont plus faux que mon Vuitton mexicain... Son sac renversé vomit deux millions de dollars dans le Rio.  - Tu piges pas, Norton ? Le magot de Teddy, c'est du flan ! Du flan ! Comme celui que tu as trainé jusqu'ici. A cette heure, cette ordure de Ted se la coule douce à Bezons avec les vrais talbins. Le magnum de Norton fixa Suzy de son oeil borgne. - Norton, qu'est ce que... ? Sa cervelle se mêla au fleuve. Norton contempla longtemps le tourbillon où elle avait disparu. - Le vrai, le faux, tout n'est qu'apparences, pensa Norton qui avait lu les plus belles hisoires du Dalaï Lama dans le Reader's digest. Un coyotte hurlait. Norton se fondit dans la nuit. Bruxelles, 5 février 2006

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